Sylvie Angel : on aime raconter, sans se raconter

on aime raconter, sans se raconter

Pour Sylvie Angel (1), psychanalyste, le commérage a une véritable fonction sociale. Pourtant, ce travers peut facilement devenir destructeur. Entretien.

Quelle est la fonction du commérage ?

C’est un support pour entrer en relation avec les autres et pour faire des nouvelles rencontres. Nous avons tous un besoin pressant de communiquer et de nous réunir pour rompre notre solitude. Souvent, les gens n’aiment pas parler d’eux. Parler d’un tiers, de monsieur Dupont ou madame Durand, c’est une façon de rester dans le domaine de l’intime. C’est raconter quelque chose sur la vie privée ou sur les relations des uns et des autres – et donc quelque chose de  » profond  » – sans pour autant aborder sa propre intimité. On aime raconter, sans se raconter.

Pourquoi alors le considérer comme une perversion ?

Parce qu’on aime susciter l’intérêt de l’autre par de véritables révélations. Et donc dire du mal ou répandre des informations qui ne nous regarde pas. Dans ces échanges, on va essayer de faire du spectaculaire ou de la révélation pour avoir le sentiment d’être plus intéressant que l’autre. C’est à ce moment qu’on extrapole, qu’on invente. Même si chacun le fait à sa façon.

Parce qu’il y a des distinguo à faire dans la façon dont chacun « ragote » ?

on aime raconter

Il y a, dans le style de rumeurs, des personnalités tout à fait différentes qui s’expriment. Le profil de la commère va bien plus loin que la concierge qui dirait: « Tu sais, j’ai rencontré Madame Michu avec un jeune homme et je me demande bien ce qu’elle fricote ». Certains en font presque un métier et sont imbattables dans leur domaine. Je connais quelqu’un qui est spécialisé dans la nécrologie, le morbide ou la maladie. Il est toujours là pour vous annoncer le décès ou la maladie grave de quelqu’un: « Tu sais la soeur de l’ex-beau frère de machin est sur la fin ».

Ils vous parlent de gens que vous ne connaissez absolument pas mais c’est pour eux le meilleur moyen de raconter quelque chose d’effroyable. On retrouve un peu les thèmes du journal de 20 heures: l’explosion, les morts, le négatif. D’autres s’approprient bien sûr les histoires de coucheries, les relations extra conjugales, les histoires d’amour « louches ». D’autres enfin sont porteurs de l’information, on sait très bien que si on leur confie quelque chose, le tout Paris est au courant dans les 24 heures. Leur but: ne pas garder secret, « révéler » l’information, ce sont des amplificateurs de l’information.

Les femmes sont-elles réellement plus spécialisées en la matière ?

Oui et non. Les femmes fonctionnent plus dans l’intimité et vont donc plus facilement livrer quelque chose de l’intime. Quand des femmes – même d’un haut niveau professionnelle – se rencontrent, elles demandent comment vont les enfants et entrent volontiers dans un véritable relationnel. Quand des hommes se rencontrent à un haut niveau, ils vont demander où en est le CAC 40, et l’intime c’est: « Est-ce que tu as placé la Société Générale ou la BNP ? ». Vous avez des PDG qui ne savent même pas si leur sous-directeur a des enfants, s’il est célibataire ou homosexuel. Le niveau d’information n’est pas du tout le même donc les potins ou les rumeurs sont tout à fait différents. Chez les hommes, la rumeur sera plutôt: « Tiens, untel a été débauché par sa société ». Le choix du code langage prouve que l’on se situe davantage dans le professionnel que dans l’affectif. En fait, la rumeur est une extrapolation des relations intimes.

Ils ne sont donc jamais friands d’un petit potin?

S’ils sont tout à fait ravis d’apprendre qu’un tel et un tel ont fricoté ensemble, ils le colportent moins car leurs centres d’intérêts sont différents. Ceci dit les hommes ont aussi une partie féminine et les femmes une partie masculine. Vous avez donc des femmes qui parlent (et commèrent) affaire, et des hommes qui parlent (et commèrent) enfants.

(1) Sylvie Angel psychanalyste, est co-auteur avec Pierre Angel de Comment bien choisir son psy (Robert Laffont, 1999). Ils ont fondé Pluralis, un centre parisien d’orientation psychothérapeutique. Pluralis, 29, rue François-1er, 75008 Paris.

Tél : 01 47 20 60 99.