Fantasmes : du nouveau dans l’imaginaire érotique des Français

Depuis quelques années, le sida, l’avènement de la communication en réseau, du virtuel et l’importance prise par la chirurgie esthétique, ont profondément modifié notre imaginaire érotique. Pour quelles raisons, avec quelles implications et quels risques? Interview d’Alain Héril, psychologue, sophro-analyste et auteur du Dictionnaire des fantasmes érotiques (éd.Morisset).

On trouve, dans votre ouvrage publié en 1996, plus d’une centaine de fantasmes répertoriés. Vous y analysez, par exemple, le fantasme traditionnel lié aux uniformes par exemple, ou bien encore celui se référant au « patron » pour les femmes. Partant de ce constat, peut-on dire qu’il existe des « classiques » en matière de fantasmes?

Alain Héril:

Certains fantasmes sont effectivement compulsifs de l’être humain et sont, de ce fait, intemporels. Ils concernent souvent tout ce qui est lié aux attributs, c’est à dire à tout ce cache le corps de la femme ou de l’homme avant la dernière étape de la chair. On y trouve donc la lingerie, le parfum, les bijoux, mais aussi tout le registre du fétichisme. Ces fantasmes sont déjà repérables au Moyen-Age lorsque le preux chevalier combattait pour les yeux de sa belle et qu’il recevait en échange un mouchoir, un avant-goût du corps lui même…L’éternel fantasme de jeu avec la nourriture s’explique de la même façon: cette fois-ci, c’est la couche de chocolat ou de fromage blanc qu’il faut enlever avant de parvenir au trésor. Quant à l’infirmière qui, presque nue sous sa blouse soulage la douleur, correspond là aussi à une attente légendaire: celle d’une maman érotisée. Du côté des femmes, on remarque les mêmes désirs secrets autour du médecin ou du patron qui incarne l’autorité.

Vous dîtes également que le sadomasochisme est un fantasme vieux comme le monde?

Il fait partie de ces vieux fantasmes qui, peu répandus et confidentiels autrefois, sont devenus beaucoup plus courants aujourd’hui. Ainsi, si le sadomasochisme s’affiche réellement depuis 30 ans, on en retrouve déjà des traces dans le Kama Sutra. Pourquoi est-il, aujourd’hui, sorti de l’ombre? Parce qu’il se nourrit de la paranoïa ambiante. Dans un monde où l’on a de plus en plus peur de l’autre, on désire secrètement brimer, anéantir et soumettre.

Parallèlement à ces clichés, existe-t-il des fantasmes propres aux réalités de ce début de XXIè siècle?

Plus que de nouveaux fantasmes, de nouveaux supports à fantasmes, relatifs à notre environnement contemporain, se sont développés. L’imaginaire érotique des Français s’est logiquement laissé influencer par des nouveaux apports ou de nouvelles craintes extérieures comme le sida, par exemple. En associant l’amour à la mort, cette épidémie a suscité de nouveaux besoins et de nouveaux réflexes comme le « safe sex ». Pour cette raison, les jeux de séduction, les préliminaires et la masturbation ont, à présent, plus d’importance que la pénétration elle-même. Celle-ci, en tout cas, ne marque plus la validation d’un acte sexuel. Autre grande caractéristique de notre époque: les fantasmes ont tendances à se former sur des images idéalisées plutôt que sur des hommes ou des femmes de chair et de sang.

Nos fantasmes seraient-ils donc de plus en plus déconnectés de la réalité?

Oui. Regardez la place prise par les sites érotiques ou pornographiques sur le Net. Cela correspond à une sur-activation du fantasme. Mais ce fantasme ne se fait plus par rapport à la réalité. De plus en plus d’hommes utilisent leur ordinateur pour vivre « virtuellement » leur sexualité. De plus en plus de femmes ont recours à une chirurgie plastique de plus en plus mutilante pour aboutir à un physique stéréotypé, presque standardisé érotiquement, mais qui n’existe pas, ou très rarement, dans la réalité. Difficile dans ces conditions, d’appréhender ensuite sereinement le réel…

Existe-t-il des risques liés à cette sexualité virtuelle?

Oui, ces nouveaux comportements peuvent nous entraîner vers des dérives assez dangereuses. Si certains fantasmes se fixent, ils peuvent en effet se transformer en obsessions et tomber finalement dans le pathologique. On peut très bien imaginer un jeune homme qui se soit initié à l’amour dans un espace virtuel, et qui commette un meurtre quand il se retrouve devant un vrai corps de femme. Trop difficile à accepter, la réalité peut devenir l’objet de pulsions destructrices.

EN SAVOIR PLUS:

A lire:

– Ils ne pensent donc qu’à ça? Maurice T. Madchino, éd. Calmann-Lévy.