Chouette, c’est une fille! ou la peur d’avoir un garçon…

La plupart des futurs pères préfèrerait avoir un garçon, d’après Marie-Ange Guillaume, auteur de Futur papa (Abbeville). Que se passe-t-il dans la tête des hommes quand l’enfant qui paraît est une fille et qu’ils en sont contents? Entre la joie pure et un certain soulagement (de ne pas avoir un garçon), pas facile d’y voir clair…

« Je ne connaissais pas le sexe de mes deux enfants avant leur naissance »,raconte Jannick, 35 ans, père de deux filles. « Mais en mon for intérieur, je désirais des filles. Le sexe masculin me fait peur. J’ai été élevé par des femmes, je n’ai pas eu de modèles masculins autour de moi. J’avais une peur panique d’être obligé de me comporter en mec face à un petit garçon. Je me suis un peu calmé à présent: si j’avais une troisième fille, je serais ravi, mais avoir un garçon m’effraie moins qu’avant… »Selon certains psychanalystes, la naissance d’une fille constitue un grand bouleversement pour un homme et peut le plonger dans l’inconnu: « Cela le renvoie aux conflits d’identifications qu’il a connu dans son enfance en se confrontant aux modèles féminins et masculins qui l’entourent, sa mère et son père », explique Claire-Marine François-Poncet, psychanalyste. « La capacité de l’homme à intégrer sa bisexualité psychique et à naviguer entre les deux pôles de son identité sexuée forme un enjeu important dans la façon dont il va accueillir et élever sa fille. »

Accéder à sa part féminine

La mosaïque des histoires des pères conditionne l’appréhension ou au contraire la joie d’avoir une fille. L’angoisse de Jannick à l’idée d’avoir un garçon peut se retrouver dans tout autre cas de figure. Ainsi Guy, 50 ans, consultant en formation, troisième d’une fratrie de quatre garçons, élevé en internat militaire de garçons se souvient de son « soulagement » au moment de l’arrivée de sa fille – aujourd’hui âgée de 16 ans: « Avoir une fille constituait une revanche sur ce que j’avais vécu. C’était peu la petite soeur que je n’avais pas eue. Une ouverture d’horizon. Avoir une fille, c’était accéder à cette part féminine dont j’avais été privé.

C’était plus clair, plus évident. » Dans quelques mois, Guy sera à nouveau papa, et ne connaît pas le sexe de l’enfant mais témoigne, comme Jannick, de son appréhension d’avoir un garçon: « L’idée d’avoir un petit garçon se pose en terme de peur et non d’envie. Avec ma fille, nous avons une sensibilité commune. Quelque chose que je lui ai communiqué. Je ne sais pas bricoler, je ne travaille pas le bois… J’aurais aimé partager ce genre de choses avec un garçon. Une activité manuelle, quelque chose de basique, ancré au sol… Je dois penser qu’avec une fille on discute plus qu’avec un garçon… ».

Elever une fille est-il perçu comme moins important ou difficile?

Ainsi, pour Jannick comme pour Guy, la part d’inconnu que représente le sexe féminin ne semble pas les effrayer: « Pour certains hommes, il me semble qu’au contraire avoir une fille peut paraître plus rassurant », estime le psychiatre Patrice Huerre. « Les enjeux sont moins importants, le père peut aussi être plus à l’aise avec l’image qu’il donne et moins avoir l’impression de se reconnaître dans son enfant ». Avoir une fille conviendrait donc davantage à certains types de pères, plus à l’aise avec les attributs féminins: « J’ai toujours eu l’impression que les petites filles étaient plus intelligentes, plus vives », raconte Jannick.

« J’aime leur subtilité féminine, leur façon de me rouler dans la farine, leur gourmandise… « . »Chaque père fait un investissement personnel de son enfant mais j’observe tout de même des similitudes entre certains pères », explique la pédiatre Guénolée de Blignières-Strouk. « Je pense à des hommes timides. Des tendres. Des hommes qui ne se sentent pas forcément armés dans la vie. Je les vois complètement soulagés de se retrouver en face d’un bébé fille et de ne pas devoir, justement, être obligés de se comporter en machos. Ils se laissent aller à la tendresse avec bonheur et acceptent de se montrer vulnérables… « . Cela n’empêche d’ailleurs pas ce type de père de se montrer fermes et déterminés, lorsqu’il le faut. La pédiatre relate l’exemple d’un père, timide et complexé, qu’elle a découvert clair et rassurant lorsque sa petite fille est tombée malade.

Elever sa fille « comme un garçon »

En élevant sa fille, un père accepte plus ou moins bien qu’elle s’identifie à lui et qu’elle cherche à lui ressembler. Certains pères cherchent des voies de convergence, en encourageant « le modèle phallique » et en poussant leur fille sur la voie des études et de la réussite sociale. Cela revient à penser « compense ta féminité et ton absence de phallus en travaillant comme moi. Ressemble-moi, sois un garçon »…Pour d’autres, la question se pose en d’autres termes: « tu fais des études mais au fond quelle importance? Tu es une fille ». Il y a bien une troisième voie, celle d’une reconnaissance et d’un partage….

EN SAVOIR PLUS:

Un avenir pour la paternité, Alain Bruel (ancien président du tribunal pour enfants de Paris Syros, 2000Histoire des pères et de la paternité, Jean Delumeau, Daniel Roche, Paris, Larousse, 1990Sans père et sans parole, la place du père dans l’équilibre de l’enfant et Et l’enfant créa le père, Didier Dumas, Hachette Littérature, 1999 et 2000Une place pour le père, Aldo Naouri, Seuil,1992Le XXe siècle des femmes, Florence Montreynaud, Nathan 1995Histoire des femmes, Michelle Perrot et Georges Duby, Plon (4 tomes)